mardi 13 janvier 2015

Reprenons nos esprits

D'accord, nous avons été sous le choc de la tuerie. D'accord, vous êtes allés marcher, pour protester, pour vous réchauffer, pour vous rassurer. Comme j'aurais aimé être l'un des vôtres ! Mais il y a tellement longtemps que je ne me sens plus en communion avec les émotions mainstream de ce pays que je n'ai pas pu. Ce réconfort ne m'était pas permis.

Je suis d'un autre pays que le vôtre, d'un autre quartier, d'une autre solitude.

Cette belle unanimité du monde politique et médiatique ne peut qu'engendrer une réaction de rejet pour tous les esprits qui ont été vaccinés contre les émotions de masse à force de subir la propagande sur le 11 septembre 2001, sur l'Europe, sur l'Ukraine, sur le reste.

Ne croyez pas que n'aie pas été touché. Wolinski, Cabu, pour moi ça faisait partie des meubles, du décor familial. Même si je n'étais plus du tout en accord avec ce qu'ils faisaient et avec ce qu'ils représentaient, apprendre qu'ils aient été flingués par des cinglés m'a foutu en l'air.

Et pourtant...

Reprenons nos esprits.

Nous sommes dans un monde officiellement matérialiste. Dans ce monde-là, seul ce qui impacte la matière (ou la chair, cette matière vivante, ou plus exactement cette vie considérée comme de la matière) a de l'importance. 

Tout ce qui relève de l'esprit, en revanche, est soit nié, soit relégué au second plan, ou, comme on dit, à la sphère privée (mais existe-t-il vraiment une sphère privée déconnectée du social ?) : "Que chacun pense ce qu'il veut dans son coin, que les échanges entre les hommes ne concernent plus que la matière, et les vaches seront bien gardées".

Tuer un homme relève d'un crime contre la chair aussi bien que d'un crime contre l'esprit. Mais il existe aussi des crimes contre l'esprit seul, et ceux-là la société moderne s'en accommode, voire les encourage.

Et c'est là que le bât blesse, c'est là aussi que les défilés de dimanche comportaient une ambiguïté dommageable : on pouvait craindre que sous prétexte de dénoncer les crimes contre la chair, on n'en vienne à glorifier les crimes contre l'esprit : les insultes, les calomnies, les attaques contre les symboles.

Car le dessinateur survivant Luz l'a bien expliqué : le boulot de Charlie, dans le concert des médias dont il était partie intégrante, était de détruire tous les symboles.

Or aucune communauté humaine ne peut tenir debout sans symboles, du grec sun-ballein, ce qui fait tenir ensemble. Le contraire de sunballein étant diaballein, ce qui désunit, qui a donné son nom au diable.

Notre monde matérialiste n'a de cesse de piétiner systématiquement ce qui peut ressembler à un symbole ou à une spiritualité. Femens, mariage gay, expositions publiques de godemichés géants, multiplications de profanations d'églises, tout cela se produit dans l'indifférence ou avec les encouragements des pouvoirs publics et sous la houlette des classes "créatives", des artistes et des professions dites "intellectuelles".

Lorsqu'un béotien s'avise de protester contre ces atteintes à la spiritualité, la réponse est toujours la même : tant que ça ne touche rien de matériel, qu'est-ce que ça peut bien vous faire ? Réponse fallacieuse, bien sûr, qui fait mine d'ignorer qu'on peut souffrir d'une attaque symbolique encore plus que d'une attaque matérielle.

Mais puisque seule la matière vous importe, peut-être vous sera-t-il possible d'entendre qu'à force d'abattre des symboles, c'est toute la société qui risque de s'effondrer, avec éventuellement quelques conséquences matérielles à la clé ?

Aucune société ne peut vivre sans symboles, disais-je. La nôtre en vérité, malgré ses bravades, ne fait pas exception. Mais puisqu'elle rejette dans les limbes de la sphère privée tout ce qui relève du spirituel, elle s'est trouvée une religion de substitution, qui consiste à s'opposer aux religions. On a appelé ça la laïcité.

Ce qui est amusant, car au départ la laïcité est une idée chrétienne, signifiant que le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel sont distincts. ce qui n'implique aucunement que le premier soit banni de l'espace public. Mais la laïcité est devenue tout autre chose : un programme de lutte contre le spirituel au nom de la matière. Autrement dit, la seule chose qui tienne cette société debout est de sonner l'alarme dès que sort du bois quelque chose qui ressemble à un dangereux idéalisme. Attention, un catholique ! Attention, un patriote ! Attention, un musulman ! Et la société de se regrouper pour faire face au danger qui menace son bien-être et sa sécurité.

Le reste du temps, le citoyen-consommateur est appelé à rester bien sagement à jouir de sa tranquillité d'esprit, en essayant de ne pas trop penser à la mort qui s'approche... Oh bien sûr, on a le droit de se bricoler sa petite spiritualité de pacotille dans son coin façon new age... Mais surtout rien de collectif, rien de vraiment sacré, sinon gare... 

Règne de la dérision, de la caricature, du cynisme, voila ce qui rassemble la génération Canal + qui vomit tout ce qui peut être ressembler à de la grandeur, de la noblesse, de la sagesse, assimilés à l'oppression fasciste-patriarcale-de-droite.

Mais pour exister, cet "esprit" de dérision a besoin de s'attaquer aux vraies croyances, sous peine de tourner à vide.Voilà pourquoi on va traquer, sans raison apparente, jusque dans les chiottes, les dernier croyants, pour les ridiculiser jusqu'au dernier souffle, et peu importe si ceux qu'on attaque ne représentent aucun pouvoir.

Voilà pourquoi on sacralise aujourd'hui le droit à la caricature et au blasphème tout en niant la possibilité du sacré, pourquoi on béatifie sancto subito les morts de Charlie Hebdo tout en crachant sur la sainteté. Voilà pourquoi un hebdomadaire satirique qui se proclamait "irresponsable" devient l'étendard du système politique.

La réaction médiatico-politique aurait été bien moindre si les attentats n'avaient touché "que" des flics ou des quidams. Mais là, on a touché au seul sacré que s'autorise notre civilisation, qui est l'anti-sacré, le blasphème institutionnel.

Or il n'est plus possible de se borner à ce sacré de substitution, qui ne sait que dénoncer le mal (généralement sous la forme d'un rappel pseudo-historique des années 1930) sans être capable de définir le bien. Qui oublie que les valeurs qu'il oppose à la religion (laïcité, compassion, liberté individuelle de croyance) sont des apports du christianisme.

Tel le propriétaire bobo qui fait rénover son appartement en faisant tomber toutes les cloisons, l'homme post-moderne aime l'ouverture et n'aime pas les murs. Le problème, c'est qu'il s'est maintenant attaqué aux murs porteurs, et que ça commence à grincer.

Il existe pourtant des esprits dans ce monde matériel. Comprimés, insultés, mal à l'aise en permanence, ils ne trouvent pas les mots pour se défendre. Certains esprits pètent les plombs, versent dans une révolte nihiliste et sanguinaire. Qui prend parfois les atours de l'islam, et parfois la tête d'Anders Breivik. Les autres s'assomment à coups de séries TV, d'antidépresseurs et de tablettes numériques pour oublier qu'ils existent. Et lorsqu'ils sont réveillés de leur torpeur par les premiers, il se réfugient dans le troupeau émotionnel, qui ne sait que crier "non à la haine, attention aux religions", sans comprendre que c'est le rejet de toute spiritualité positive qui provoque de telles catastrophes.

Il est temps de revenir à une spiritualité publique et cohérente. La caricature et le blasphème, qui peuvent être salutaires lorsque la morale est étouffante, doivent être néanmoins remis à leur juste place de bouffonnerie. Ce qui nous étouffe aujourd'hui, c'est la bien-pensance et la fausse compassion, pas la religion.

Il est d'ailleurs significatif que le système accuse et censure Dieudonné, qui est pour le coup un véritable blasphémateur, puisqu'il ne s'attaque pas à des croyances minoritaires et mal en point, mais aux seules valeurs sacrées de notre temps, et notamment à cette fameuse sacralisation des événements de la seconde guerre mondiale.

Il est grand temps, disais-je, de revenir à une religion publique, séparée du pouvoir temporel, mais respectée et consultée par celui-ci. Et en premier lieu, au catholicisme, religion traditionnelle de la France, qu'elle a façonnée jusque dans sa chair ; religion qui porte par ailleurs (lorsqu'elle ne les oublie pas en route) les enseignements vitaux du christianisme, religion du Dieu qui s'est incarné, qui a souffert, qui est mort et ressuscité pour avoir pardonné à ses bourreaux sur la Croix. Religion qui enseigne à ne pas accuser les autres des maux du monde, mais à se regarder d'abord soi-même. A faire société sans pour autant sacraliser la société elle-même. Sans idole et sans bouc émissaire.


La France n'a pas besoin de manifestations, elle a besoin de prières.

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