mercredi 9 juillet 2014

Jamais racines tu ne prendras


Aujourd'hui en politique, on commence par pondre une réforme, et ensuite les commentateurs essaient de comprendre à quoi ça sert.

La réforme des régions françaises en cours est un bon exemple. Les mecs se réveillent un jour et se disent : tiens, on va fusionner des régions. Tout le monde se met à discuter des nouvelles frontières, de qui se retrouve où, de quelle ville devient la capitale de quoi, sans se demander : au fait, pourquoi on fait ça, les gars ?

Les quelques économies réalisées par la suppression d'une dizaine de conseils régionaux peuvent difficilement justifier le chambardement. La "simplification du mille-feuille administratif", comme disent les adeptes de la langue de bois techno-libérale, est sans objet ici puisque le nombre de couches reste le même. On évoque une taille insuffisante des régions dans le contexte européen. Mais dans ce cas, le mieux ne serait-il pas d'avoir une seule super-région nommée la France ?

En réalité, tout se passe comme si le pouvoir s'efforçait sur le long terme, avec rigueur et méthode, d'empêcher par tous les moyens les régions d'avoir une identité propre.

Les provinces de l'Ancien Régime étaient si puissamment ancrées dans les esprits qu'aujourd'hui encore, 220 ans après leur disparition, leurs fantômes hantent toujours le territoire. Ainsi dans le nord de la Drôme (région Rhône-Alpes) on sait qu'on est dans le Dauphiné, tandis que dans le sud du même département on se considère comme déjà en Provence.

Les départements, créés par la Révolution sur des critères qui se voulaient scientifiques (basés sur la seule géographie physique des rivières et des montagnes), avaient pour but de faire oublier les anciennes provinces pour mieux asseoir la domination de l’État central et de ses préfets. Mais peu à peu les départements sont entrés dans les mœurs, et sont devenus pour beaucoup d'habitants une part de leur identité locale, y compris sous la forme de numéros : on affiche sa fierté d'être du "64", du "29" ou même d'une monstruosité comme le  "93", retournant ainsi la froide numérotation technocratique en sentiment d'appartenance territoriale.

Il fallait donc remédier à ça, et c'est pourquoi on a créé les régions, avec l'idée à terme de supplanter les départements (même si au final on a abouti à une étrange coexistence). Simples regroupements de département, elles essayaient souvent de porter des noms de provinces connues, mais sans jamais vraiment coïncider avec leurs limites réelles.

Et pourtant, signe de la farouche propension des hommes à s'enraciner là où ils peuvent, certaines de ces régions elles-mêmes commençaient à devenir une réalité humaine. Ainsi une pure invention sans réalité historique comme la région Rhône-Alpes avait-elle acquis une certaine cohérence, réunissant Dauphiné, Savoie, Lyonnais et Forez en une grande province organisée autour de Lyon, où l'on commençait à se ressouvenir d'une identité commune autour des dialectes "arpitans" (ou franco-provençaux).

Il était donc urgent de casser tout ça et de repartir encore sur autre chose. Avec la région Rhône-Alpes-Auvergne, on est sûr de paumer les gens pendant quelques décennies encore.

La seule logique à l’œuvre dans les réformes territoriales est donc la même que dans toutes les réformes sociales, économiques, sociétales : empêcher les hommes de s'enraciner, pour en faire des étrangers dans leur propre pays, éternellement insatisfaits, dépourvus de toute spiritualité authentique et dépendants aussi bien de l’État que de la société de consommation. Autrement dit, il faut que tout change pour que rien ne change.

L'enracinement et le respect de la tradition bien comprise (non sous l'angle purement réactionnaire mais selon la formule "conserver et créer") sont indispensables aux hommes pour exister. S'enraciner ne signifie pas revenir à un passé plus ou moins mythifié ou faire revivre ce qui est mort, mais simplement respecter ce qui existe et le faire prospérer.

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