samedi 15 décembre 2012

Que faire de Lénine ?


C'est pas facile d'être un chef révolutionnaire mort.

Enfermé depuis 90 ans sous forme de momie dans un mausolée dont il avait refusé le principe de son vivant, le camarade Lénine continue de crécher au beau milieu de la place Rouge à Moscou, comme une vulgaire attraction touristique.

« Ce ne sont pas les hommes mais les idées qui doivent être conservées », avait-il dit avec justesse. Toutefois, parmi ses adorateurs, il semble que l'amour charnel ait triomphé de l'amour platonique, et c'est bien son corps qui fut pieusement conservé à sa mort, contre sa volonté.

Première trahison.

La deuxième a eu lieu il y a quelques jours, lorsque le président Poutine a répondu à peu près en ces termes à ceux qui voulaient supprimer le mausolée et enterrer le grand homme :

« Même l'idéologie communiste est issue des postulats de la religion. On dit que le mausolée (de Lénine) ne correspond pas aux traditions. Pourquoi ? Il est des reliques dans la Laure des Grottes de Kiev, dans d'autres monastères. Vous pouvez les voir ».

Voilà donc le pauvre Vladimir Illitch défendu au nom de la tradition, lui qui du passé voulait faire table rase. Comparé à une relique de moine, lui qui méprisait la religion. Et il peut même pas se retourner dans sa tombe de verre.

Morale de l'histoire ?

Inutile de balayer le passé, une fois retombées la poussière et les clameurs, la tradition revient toujours s'installer. D'ailleurs le christianisme n'était-il pas lui-même une doctrine révolutionnaire (destinée à éliminer les traditions païennes), avant de s'installer dans le paysage ?

La révolution façon table rase du père Lénine n'a d'ailleurs pas abouti à la société nouvelle escomptée. Tout au plus un triste système productiviste que certains ont qualifié à tort de "capitalisme d’État" mais que Jean-Claude Michéa a décrit plus finement comme un "État imitant le capitalisme" (1).
Ça valait bien la peine de tout foutre en l'air pour ça.

Léninisme et capitalisme, deux facettes de la même modernité destructrice des solidarités traditionnelles, pour mettre des individus déracinés au service de la production.

Pourtant, alors que les bolcheviques mettaient en place les bases de leur État totalitaire, d'autres révolutionnaires, comme les marins de Kronstadt ou les makhnovistes d'Ukraine, avaient une autre vision d'une société qui prendrait en compte les aspirations du petit peuple, qui s'appuierait même sur certaines de ses institutions ancestrales (telles les assemblées paysannes).

Lénine les a tous fait tuer ou exiler, ces héros de la révolution, pour qu'ils n'entravent pas la marche du progrès. Oubliés de tous, leur seul mausolée est désormais la banquise du golfe de Finlande ou les forêts de Zaporoguie.

Mais eux, au moins, on leur fout la paix.

(1) Jean-Claude Michéa, Le complexe d'Orphée. La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès,  Climats 2011

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